En septembre 1944, un encart du journal New York Times évoque des départs de feux de forêt dans l’Idaho. Plusieurs équipes de pompiers ont été parachutées au cœur des massifs forestiers pour les éteindre. Un mois plus tard, une étrange enveloppe de ballon est récupérée au large de San Pedro (Californie). D’autres exemplaires sont retrouvés à Hawaï, dans une dizaine d’États de l’Ouest ainsi que dans plusieurs provinces canadiennes.
Ces derniers ont conçus des modèles dans l’espoir d’atteindre le continent nord-américain en utilisant le courant de haute altitude allant du Japon jusqu’aux côtes occidentales du Canada et des Etats-Unis, baptisé Jet Stream. Le général Kusaba, responsable du projet, s’est vu allouer un budget de 9 millions de yens. La difficulté la plus importante est de mettre au point des ballons en soie caoutchoutée ou en papier de mûrier washi, totalement étanches pour ne pas perdre d’hydrogène et capables de voler entre 10 000 et 11 500 mètres d’altitude.
Les fusen bakudan sont équipés de cerveaux moteurs muni de sondes, de 90 kilogrammes de ballast pour maintenir l’altitude et de 50 kilogrammes de bombes incendiaires ou explosives. Ils volent très haut et très vite. L’arme bien que peu précise a pour principal objectif de déclencher des feux de forêt voire de détruire des installations civiles ou militaires pour semer la panique. Une unité spécialisée de 2 800 hommes est mise sur pied pour procéder au lancement de plusieurs milliers de ballons. Il est prévu de fabriquer 20 000 unités.
Un premier lâcher de 200 ballons a eu lieu en mai 1944, mais aucun n’a atteint le continent américain. Kusaba obtient l’autorisation de fabriquer une nouvelle version de cette arme aérostatique capable d’atteindre leur cible 48 heures après avoir quitté le Japon. La seconde offensive lancée en novembre est plus prometteuse. Les Américains ne tardent pas à comprendre qu’il s’agit d’une arme de représailles japonaise. L’affaire est prise très au sérieux par Washington. La population, alertée par voie de presse, s’inquiète et échafaude des scénarios fantaisistes. Le 4 janvier 1945, les autorités demandent aux médias de ne plus faire mention de ces incidents pour éviter qu’un vent de panique ne s’empare de la population et persuader l’ennemi de l’inefficacité de leur arme. On craint que ces derniers ne servent à propager des agents chimiques ou bactériologiques.
Des escadrilles de l’U.S. Air Force et de l’U.S. Navy sont déployées à l’Ouest. Des chasseurs en alerte permanente patrouillent à haute altitude pour les intercepter. Un ballon est abattu par un chasseur Lockheed P-38 Lightning au-dessus de la Californie ; un autre est récupéré intact. Les pompiers du Forest Service appuyés par des objecteurs de conscience et les Triple Nickles de la 555th Parachute Infantry Company sont mobilisés pour lutter contre les incendies de forêts.
L’offensive gagne en intensité au fil des semaines. En mars, 3 000 ballons sont lancés. Des explosions sont entendues un peu partout en Amérique du Nord et des restes de dizaines de fusen bakudan sont retrouvés sur terre ou en mer. Le 10 du mois, l’un d’entre eux tombe sur une ligne à haute tension électrique alimentant le système de refroidissement du réacteur de l’usine atomique d’Hanford. La coupure ne dure qu’une fraction de seconde. Fort heureusement, les générateurs de secours ont pris le relais empêchant une surchauffe du réacteur dont les conséquences auraient été incalculables.
Le 6 mai, près de Bly (Oregon), la partie de pêche organisée par le révérend Archi Mitchell avec des enfants de sa paroisse tourne au drame quand un étrange ballon trouvé accroché dans un arbre explose et tue son épouse et cinq enfants. La Maison blanche décide de lever la censure pour avertir la population du danger des fusen bakudan.
Des études sont menées par l’U.S. Geological Survey pour déterminer leur origine, notamment en étudiant le sable contenu dans les ballasts. Les raids de bombardements sur le Japon permettent de détruire les usines de production d’hydrogène et mettent à mal l’approvisionnement en papier washi. Le Japon arrête l’opération Fu Go en avril. Sur les 9 300 ballons lancés, un peu plus de 300 ont atteint l’Amérique du Nord.
Tous droits réservés, Christophe Prime, janvier 2023.