Les GI et la Benzedrine

On a beaucoup parlé de l’usage de la Pervitine, au sein de la Wehrmacht lors de la sortie du livre  » Le IIIe Reich, les allemands et la drogue » de Norman Ohler (2016). Cette drogue synthétique permettait de stimuler le système nerveux des combattants. Ils réduisaient les effets de la fatigue lors des combats et diminuaient la sensation de faim. Mais l’armée américaine a utilisé un produit équivalent : la Benzedrine.

En 1887, le chimiste japonais Nagayoshi Nagai extrait avec succès l’ingrédient actif de la plante ma-huang, mieux connue en Occident sous le nom d’Ephedra. Cet arbuste du désert relativement rare était utilisé comme remède depuis plus de 5000 ans en Chine. L’éphédrine ressemblait étroitement à l’adrénaline. En 1919, un autre scientifique japonais, Akira Ogata, développe un substitut synthétique de l’éphédrine. Un jeune chimiste britannique, Gordon Alles, parvient à synthétiser l’amphétamine en 1927 dans un laboratoire de l’Université de Californie à Los Angeles.

Les parachutistes américains recevaient des comprimés de Benzedrine afin de rester sur le qui vive le plus longtemps possible. (c) Tracesdeguerre.com

Les méthamphétamines, apparues relativement tard dans l’histoire des substances psychotropes, vont être commercialisées dans les pays industrielles juste avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Le brevet de la molécule (découverte en 1914 par un chimiste allemand) a été racheté en 1932 pour ses propriétés bronchodilatatrices. Le produit est lancé sur le marché par le laboratoire Philadelphie Smith, Kline & French (SFK) sous le nom générique de Benzedrine. L’action stimulante de la Benzedrine est mise à profit pour traiter l’asthme, les cas de narcolepsie et comme antidépresseur. avant de l’introduire sous forme de comprimés quelques années plus tard. La substances est commercialisée sous la forme de comprimés quelques années plus tard. C’est un énorme succès commercial. La société américaine vend pour 500 000 $ d’amphétamines en 1941. Les ventes atteindront les 2 000 000 $ quatre ans plus tard.

L’USAAF délivre de la Benzedrine aux équipages de bombardiers lourds qui effectuent des missions au-dessus de l’Allemagne ou du Japon. Les longues heures passées en altitude dans une tension extrême fatiguent les organismes et des nerfs des navigants (c) US Air Force.

Il ne faut pas pas attendre longtemps pour voir ces pilules atteindre le champ de bataille. L’armée américaine distribue à ses aviateurs et ses soldats des boîtes contenant six comprimés dosés à 5 mg. En 1943, des boîtes sont incluses dans les kits d’urgence des bombardiers de l’US Army Air Force. Les hommes doivent les prendre sur ordre de leurs officiers en cas d’extrême fatigue. Pour éviter l’effet d’addiction, il est clairement stipulé de limiter la prise à six comprimés pendant une semaine. Néanmoins, une enquête menée en 1945 montrera que de nombreux de pilotes (15% des hommes interrogés) prenaient de la Benzedrine quand ils en avaient envie. Les pep pills ou wakey-wakey pills ont été utilisées par les aviateurs, les Marines dans le Pacifique mais aussi les troupes qui débarquent en Normandie.

Un Marine exténué sur les pentes de la Hill 200. Les combats sanglants livrés sur l’île de Peleliu ont mis les nerfs des combattants à rude épreuve. (c) NARA

Les Japonais aussi …

L’armée japonaise a également distribué des méthamphétamines à ses combattants. Les tablettes, commercialisées sous le nom Philopon ou Hiropin sont données aux pilotes et aux soldats avant les combats. Les ouvriers travaillant dans les usines de guerre en consomment pour pouvoir travailler plus longtemps et ainsi augmenter la productivité. Les Japonais appelaient ces stimulants senryoku zokyo zai, ou « drogue pour inspirer les esprits combattants ». Les Kamikaze prenaient de fortes doses de Philopon par injection avant leurs dernières missions. On leur distribuait également des pilules portant le blason impérial. Celles-ci étaient composées de méthamphétamines mélangées à de la poudre de thé vert. Elles étaient appelés Totsugeki-Jo ou Tokkou-Jo, autrement connus « comprimés d’assaut ». De nombreux Japonais vont devenir « addict » à cette drogue d’autant plus qu’une partie des stocks de l’armée sont écoulés sur le marché intérieur. Les dispensaires en distribuent, mais de grandes quantités d’Hiropin sont récupérées par le syndicat du crime Yakuza et revendues au marché noir. Les stocks non détournés sont récupéré par les sociétés pharmaceutiques qui organisent des campagnes d’affichage pour pousser les consommateurs à en acheter. Elles vendent également des stocks de « Meth » liquide de fabrication militaire. Beaucoup de jeunes Japonais tombent dans la toxicomanie, la présence des bases militaires américaines ne faisant qu’aggraver le phénomène.

De jeunes kamikazes posent pour la postérité. L’usage de drogue est censé les aider à affronter leur funeste destin. (c) DR

On estime qu’au total 72 millions de comprimés ont été distribués aux troupes américaines et à celles du Commonwealth. Seize millions de jeunes Américains vont être exposés à la Benzedrine pendant leur période militaire. Cette surconsommation sera également constatée au sein même de la société américaine, puisqu’en 1945, on estime que 500 000 Américains en consomment jusqu’à deux comprimés par jour. Cette addiction aura bien sûr des effets pervers sur les organismes et la santé mentale des utilisateurs.

Dans leur livre intitulé The Speed Culture: Amphetamine Use and Abuse in America (1975), les psychiatres américains, Lester Grinspoon et Peter Hedblom, ont démontré que la Seconde Guerre mondiale avait donné un grand élan à l’abus légal des amphétamines à l’échelle mondiale. La Benzedrine continuera d’être fourni aux soldats américains pendant la guerre du Vietnam. Sa consommation sera sérieusement limitée à partir de 1971, date à laquelle elle est considérée comme une substance hautement addictive. (Controlled Substances Act – Schedule II).

(c) Tous droits réservés – Christophe Prime – Novembre 2020

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