Cet été, je me suis plongé dans la lecture de cet imposant livre de 550 pages. Il ne s’agit pas d’une nouveauté en soi car l’ouvrage originel « Japan at War. On Oral History » date de 1992. Haruko Taya et Theodore F. Cook, enseignants à William Patterson University (New Jersey) en sont les auteurs. Il aura fallu attendre 23 ans pour que les éditions Fallois publient une version française. Le travail de traduction de Danièle Mazingarbe est remarquable. Cet ouvrage m’a littéralement scotché à mon siège ou plutôt à ma serviette de plage.
Lorsqu’on évoque le Japon en guerre, on arrive pas à se défaire de ces images d’Epinal montrant un peuple et son armée va-t-en-guerre, prêts à tout et même, à tuer et à se sacrifier pour leur empereur. Cette vision sans doute très simpliste est pourtant celle qui prévaut encore majoritairement. Il faut dire que les Japonais ont rapidement tourné cette page sombre de leur histoire au lendemain de la guerre et n’ont jamais cherché à la réouvrir, favorisant l’incompréhension et les controverses. La présence des noms de 1068 de criminels de guerre dans le Livre des âmes du sanctuaire shinto Yasukuni et la non-reconnaissance des crimes commis en Chine et en Corée (dont il n’est pas même fait mention dans les manuels scolaires) ont provoqué des polémiques à l’intérieur du pays mais aussi avec l’extérieur, montrant que le pays ne peut faire l’économie de son passé.
« Le devoir pèse plus lourd qu’une montagne, la mort est plus légère qu’une plume.«
Extrait d’un manuel d’instruction militaire japonais.
Les auteurs ont donc interrogé avec moult précautions des hommes et des femmes ordinaires, ayant vécu de près ou de loin cette période. Ces personnes n’avaient jamais été interrogées et n’avaient même jamais partagé leur expérience de la guerre avec leurs proches. Les 69 entretiens retenus pour le livre ont valeur d’échantillon et ils nous permettent de vivre ce conflit de l’intérieur. Le style vivant et efficace, le contenu est passionnant.
J’ai été littéralement transporté 75 ans en arrière, replongeant au coeur de cette sinistre guerre sino-japonaise, percevant les doutes des civils japonais au moment de l’entrée en guerre des États-Unis, les énormes difficultés pour se nourrir et même s’habiller dans les villes et les campagnes. On suit :
- Le terrible cheminement mental d’un officier japonais à Nankin, devenu spécialiste de la décapitation au sabre de prisonniers chinois
- La vie d’un laborantin de l’unité 731 de recherche bactériologique
- Une jeune étudiante travaillant dans une usine fabricant des ballons-bombes
- Un soldat ayant miraculeusement survécu à une charge « banzai » sur l’île de Saipan
- Un rédacteur en chef d’une revue suspecté d’être un criminel de la pensée
- Un dessinateur de BD contraint de travailler pour l’armée
- Une étudiante infirmière du Lily Corps d’Okinawa
- Ou encore d’une épouse de kamikaze
Ces témoignages livrés sans fard et replacés dans leur contexte nous apportent un nouvel éclairage sur ce pays et bouleversent nos schémas de pensée. En bref, je ne peux que vous conseiller la lecture de ce livre passionnant.