À la fois camp de travail, camp de concentration et centre de mise à mort, Auschwitz symbolise à lui seul l’horreur de la déportation et du génocide juif. De sa création à sa libération par l’Armée rouge, plus de 1,1 millions déportés, juifs dans une écrasante majorité, vont y être assassinés.
» Birkenau, la plus grande cité de la mort … La terreur brise si décisivement les nerfs que les agonies connaissent toutes les humiliations, toutes les trahisons. Et lorsque, inéluctablement, les puissantes portes de la chambre à gaz se ferment, tous se précipitent, s’écrasent, dans la folie de vivre encore, si bien que, les battants ouverts, les cadavres s’effondrent, inextricablement mêlés, en cascades sur les rails « .
David Rousset, L’univers concentrationnaire, Ed. Pavois, 1946.
En novembre 1944, devant la progression des troupes soviétiques en Europe orientale, Heinrich Himmler ordonne aux commandants des camps de concentration l’arrêter les gazages et de faire dynamiter les chambres à gaz, ainsi que les fours crématoires. Les prisonniers doivent être évacués pour éviter qu’ils ne tombent entre les mains des Alliés et ne fournissent des preuves supplémentaires des assassinats de masse des nazis.
Le 17 janvier 1945, alors que les canons soviétiques grondent au loin, les SS rassemblent les 67 000 déportés encore présents à Auschwitz. Les crématoires sont dynamités et les magasins incendiés. Plusieurs milliers de prisonniers trop faibles pour se déplacer sont exécutés sur place. Les 18 et 19 janvier 1945, 58 000 hommes et femmes sont jetés sur routes vers Gleiwitz ou de Loslau distants d’une cinquantaine de kilomètres, où ils sont rejoints par les prisonniers des différents kommandos du camp. A Auschwitz, ne restent que ceux qui ont réussi à échapper au massacre en se cachant dans les baraques.
» Au moment de l’évacuation, plusieurs prisonniers avaient assailli les cuisines des SS et s’étaient jetés sur les conserves de boeuf et de choux qu’ils avaient trouvées. Ils en sont morts, morts de diarrhée ou d’avoir trop mangé. Alors leurs corps jonchaient la cour, c’était plein de cadavres et nous, nous étions là, les quelques adultes encore capables de se tenir debout quoique chacun ne devait pas peser plus de 35 kg. »
Les colonnes de prisonniers en tenue rayée marchent dans la neige par un froid glacial, sous les coups de leurs gardiens. Beaucoup meurent de froid, de faim ou d’épuisement. Les prisonniers à bout de force sont abattus. Au total, 15000 hommes et femmes vont trouver la mort. Arrivés à destination, les déportés sont transportés dans des trains de marchandises vers les camps de Buchenwald, Dachau, Flossenburg, Gross-Rosen, Mauthausen ou encore Sachsenhausen.
Majdanek, le premier camp de libération libéré
Le centre d’extermination de Majdanek, près de Lublin en Pologne a été libéré par les Soviétiques le 24 juillet 1944. Surpris par la rapidité de leur avance soviétique, les Allemands ont tenté de dissimuler les preuves du meurtre de masse en démolissant les infrastructures et en incendiant le four crématoire principal mais, dans la hâte de l’évacuation, ils n’ont pas eu le temps de détruire les chambres à gaz. Situés plus à l’Est, les camps d’extermination de Belzec, Sobibor et Treblinka ont été démantelés par les SS au cours de l’année 1943.
Sur la base des renseignements récupérés auprès de la population locale, les troupes soviétiques apprennent l’existence d’un grand camp. Les combats pour Neuberun et le long de la Vistule sont particulièrement âpres.Le 27 janvier 1945, quatre jeunes soldats à cheval de la 100e division d’infanterie combattant pour libérer Monowica et Zarki tombent par hasard sur le camp de Buna-Monowitz jonché de cadavres. Les survivants aux silhouettes filiformes sortent peu à peu des baraquements pour se porter à la rencontre de leurs libérateurs. Les soldats sont aussi bouleversés que le seront les Américains lorsqu’ils découvriront les camps de concentration quelques semaines plus tard. Selon Raoul Hilberg, il ne reste plus que 7 000 individus à l’intérieur du complexe d’Auschwitz. Les jours suivants, des civils polonais leur apporte de la nourriture et déblaient les cadavres. Rien n’a été prévu par les Soviétiques pour prendre en charge les détenus.
« Ce que j’ai vu allait au-delà de l’imaginable, à tel point que le souvenir de ce spectacle me secoue encore. Les mots me manquent pour décrire l’effet qu’il produisit sur moi: quelque chose entre peur et dégoût, dégoût et pitié. Sentiment d’impuissance et culpabilité de ne pouvoir rien faire, honte d’être nous-mêmes si plein de vie. »
Ivan Sorokopound, 507e régiment de fusiliers
Auschwitz, qui n’était pas un objectif militaire, n’a fait l’objet d’aucune préparation. Par conséquent, les soldats et officiers visitant le camp sont dans l’incapacité de comprendre immédiatement la spécificité, le fonctionnement et la finalité du complexe d’Auschwitz. De nombreuses preuves du meurtre de masse existent encore à Auschwitz. Avant de fuir, les Allemands avaient détruit la plupart des entrepôts du camp, mais dans ceux qui restaient les Soviétiques trouvent les effets personnels des victimes. Soldats et officiers visitent avec effroi les 6 magasins encore intacts (sur 29 existants) et découvrent des centaines de milliers de costumes d’homme, plus de 800 000 vêtements de femmes, et plus de 7 tonnes de cheveux humains. Les rescapés sont pris en charge par leurs libérateurs.
» Sur le sol, il y avait du sang, des excréments, des cadavres : un terrible tableau. Il était impossible d’y rester plus de cinq minutes, à cause de l’horrible odeur des corps en décomposition. Debout près des portes, j’ai dit : « Oui, il est impossible de rester longtemps ici « .
Général Petrenko, Avant et après Auschwitz, Flammarion, 2002.
» Le 27, on attendait encore; on ne savait pas quoi. Mais on restait au camp. A 15 heures, j’entends des grenades qui éclatent derrière le camp et je vais voir: je tombe sur deux Mongols qui viennent d’ouvrir le mur à coups de grenades. Je parlais allemand à cause du yiddish, et dans le camp j’avais appris le russe. Mais je m’étais toujours refusé à apprendre le polonais. Je parle donc aux Mongols. L’un des deux me tend un verre. Je le bois sans réfléchir. Je n’avais pas pris une goutte d’alcool depuis deux ans et demi. C’était un verre de vodka pure, je m’effondre, évanoui. J’aurais pu crever « .
Il faut attendre plusieurs mois pour qu’une commission historique soit mise sur pied. Mais, les travaux de cette dernière ne mettent pas en exergue le caractère juif des victimes. Les Soviétiques connaissaient l’existence de ce camp, mais rien ne pouvait laisser imaginer ce qu’il s’y passait réellement. Au printemps 1945, ils réalisent un film de propagande sur le sujet, utilisant des déportés pour jouer leur propre rôle.
Le sort des Juifs polonais
A la fin de la guerre, sur les 3 350 000 Juifs (estimation) qui vivaient en 1939 en Pologne, trois millions environ ont été victimes du génocide : 500 000 dans les ghettos, 1 700 000 dans les camps, 800 000 par des exécutions. Quelques dizaines de milliers seulement – de 25 000 à 50 000 selon les sources – ont réussi à se cacher et à survivre sur le territoire polonais.
Les rescapés d’Auschwitz sont regroupés par nationalité dans des centres, notamment à Cracovie ou à Odessa. Noyés, au milieu des prisonniers de guerre et des requis du STO, les premiers rapatriés français arrivent en bateau à Marseille à la fin du mois de mars 1945. Mais la grande majorité rentrera les mois suivants.
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