L’assaut amphibie sur Tarawa : 20-23 novembre 1943

Après avoir livré de rudes combats dans les montagnes et la jungle de l’archipel des Salomon, l’U.S. Marines Corps commence la difficile reconquête des atolls du Centre-Pacifique, ouvrant ainsi une nouvelle phase de la guerre contre l’empire nippon. L’atoll maudit de Tarawa va être le théâtre d’une des plus furieuses batailles du conflit.

Tarawa, le premier obstacle sur la route du Japon
Après la reconquête des Salomon centrales et des Aléoutiennes, Nimitz entend prendre le contrôle des îles Marshall afin d’y établir une base avancée qui doit permettre d’atteindre l’archipel des Mariannes et le Japon. Le War Orange Plan élaboré avant la guerre définissait déjà ces îles comme des objectifs stratégiques en cas de conflit avec le Japon. Les informations recueillies par le renseignement naval américain indiquent que les Japonais les ont considérablement fortifiés et ont édifiés huit aérodromes. La base japonaise de Truk, qui est considérée comme la plus importante du Pacifique, est en mesure d’y dépêcher des renforts en cas de besoin.
Les planificateurs américains ignorent tout de l’état des fortifications, des effectifs et de l’hydrographie du fait de l’impossibilité d’envoyer des reconnaissances aériennes. Si ces îles restaient une priorité stratégique, les Américains doivent en premier lieu, sécuriser les Gilbert, un petit chapelet d’îles coralliennes situé à 500 kilomètres au sud-est des Marshall formant en quelque sorte un avant-poste. Les Japonais, qui occupent la possession britannique depuis le 10 décembre 1941, bénéficie d’une relative tranquillité même si en août 1942, deux compagnies du 2nd Marine Raiders Battalion du Lieutenant Colonel Evans Carlson ont mené un raid sur l’île de Makin.

Février 1943, un canot transportant un peloton du 2nd Marine Raiders Battalion s’échoue sur une plage non défendue de l’île de Pavuvu (opération Cleanslate). (c) USMC


En effet, la reconquête de ces atolls est évoquée pour la première fois par les Alliés lors de la conférence de Casablanca. La guerre dans le Pacifique : la guerre des atolls. L’état-major interarmes veut lancer une grande offensive dans le Centre-Pacifique afin d’édifier des bases avancées en direction du Japon. Cette intention est réaffirmée lors des conférences de Washington et de Québec. L’ajournement du débarquement en Europe occidentale va permettre le transfert du matériel amphibie vers le théâtre d’opération du Pacifique.

Une forteresse redoutable
Le raid sur Makin a fait prendre conscience au commandement japonais de la nécessité de renforcer les défenses des Gilbert et de Tarawa en particulier. Betio, située à la corne sud-ouest de l’atoll de Tarawa, est une langue de terre mesurant à peine 3 kilomètres de long sur 600 m de large. Transformé en une formidable forteresse, l’île abrite le quartier général ainsi qu’un terrain d’aviation. Le contre-amiral Tomonari Saichirō dispose de la 6e force spéciale de débarquement Yokozuka (1122 hommes), du 7e groupe de fusiliers marins de Sasebo (1497 hommes), du 111e régiment de pionniers (1247 hommes) et du 4e bataillon de construction naval (970 hommes), soit au total 2 619 combattants et 2 217 ouvriers, dont un peu plus de la moitié sont Coréens.

Saichirō entend arrêter l’assaillant sur la plage même. Le littoral est hérissé d’obstacle, d’abris bétonnés soigneusement camouflées pour mitrailleuses – pillboxes – et de casemates en rondins semi-enterrés. Le rivage est ceinturé par une palissade de 1,50 mètre de haut construit en troncs de cocotiers. Des abris pour personnel et des magasins à munitions sont édifiés un peu partout à l’intérieur. Construits en béton et recouverts de troncs de cocotiers, ils peuvent résister à des obus de marine de gros calibre. Quatorze pièces d’artillerie côtière allant de 80 à 203 mm assurent la protection des eaux côtières ; quarante canons et obusiers sont installés de manière à couvrir de leur feu le rivage et à pouvoir se couvrir mutuellement. Des champs de mines et des réseaux de barbelés complètent le dispositif.

Sur le pont d’un navire transport de troupes voguant en direction de Tarawa, des Marines étudient une photographie aérienne de l’île de Betio. La qualité du cliché argentique permet de distinguer le système défensif des troupes japonaises, même si ceux-ci ont sans nul doute pris soin de les camoufler.
Une pièce de 203 mm photographié après les combats. (c) U.S.M.C.

L’armement lourd japonais à Betio
4 canons de 203 mm
4 canons de 140 mm
6 pièces de 80 mm
4 canons de 127 mm de DCA
8 pièces de 75 mm de DCA
27 mitrailleuses lourdes de 13 mm de DCA
4 mitrailleuses lourdes de 13 mm en affût double de DCA
10 canons de montagne de 75 mm
6 canons de 70 mm
9 pièces de 37 mm
31 mitrailleuses lourdes de 13 mm
Plusieurs dizaines de mitrailleuses de 7,7 mm

Les préparatifs
Nimitz, qui est chargé de l’opération, prévoit des débarquements sur les îles de Nauru, Betio, Tarawa et Abemama, mais celui sur Nauru est annulé au profit de l’atoll de Makin. Durant l’été 1943, les îles sont bombardées à intervalles régulier pour affaiblir les défenses nippones.

Messieurs, nous ne neutraliserons pas Betio, nous ne la détruirons pas, nous l’anéantirons.
Admiral Howard F. Kingman

Il rassemble la force amphibie aux Nouvelles Hébrides et confie la responsabilité de l’opération Galvanic au Rear Admiral Raymond Spruance commandant la 5th Fleet. Le Rear Admiral Richmond K. Turner est quant à lui chargé du commandement de la force expéditionnaire interarmes. Le Rear Admiral Charles A. Pownall est en charge de la flotte de transport tandis que John H. Hoover contrôle l’aviation basée à terre (Guadalcanal, Nouvelle-Géorgie) L’attaque de Tarawa est confiée au Rear Admiral Hill Smith surnommé « Howling Mad ». Le 5th Amphibious Corps est placé sous les ordres du Major General Holland Smith de l’U.S.M.C.. Spruance dispose d’une force considérable : 36 navires transport sont chargés d’acheminer la 2nd Marine Division et les éléments de la 27th Infantry Division (ID), soit 35 000 hommes. Dix-sept porte-avions d’escorte, 12 croiseurs et 66 destroyers assurent leur protection.

Insigne brodé de la 2nd Marine Division. L’unité créée en février 1941 a connu son baptême du feu à Guadalcanal où elle a débarqué entre le 7 et le 9 August 1942. (c) DR
Insigne brodé de la 27th US Infantry Division.
L’U.S. Army œuvre sur les deux fronts, et dans des proportions bien plus importantes qu’on le pense souvent : six en Europe et 29 dans le Pacifique contre seulement 12 pour les marines. Elle joue un rôle notable dans la lutte contre le Japon puisque 21 divisions combattantes sont déployées ; 15 divisions réparties en 2 armées sont engagées dans la South West Pacific Area (SWPA). (c) DR


Une armada composée de près de 200 navires est rassemblé au large des Nouvelles Hébrides avant de converger vers les Gilbert. Elle est divisée en trois Task Forces: la première (Hill), la plus au sud, est chargée de prendre d’assaut Tarawa, celle qui est au nord à plus de 100 miles (Turner) doit lancer l’assaut contre Makin, tandis qu’il incombe à la troisième d’assurer la couverture des deux autres contre une éventuelle intervention des avions japonais basés à Kwajalein. Physiquement endurcie, superbement entrainée, la 2nd Marine Division qui a combattu à Guadalcanal est probablement l’une des meilleures formations militaires des forces armées américaines à ce moment du conflit. Elle hérite du plus gros morceau, à savoir Tarawa. Le 165th Infantry Regiment (IR) de la 27th ID, totalement inexpérimenté va quant à lui se faire les dents sur Makin où se terrent pas800 combattants japonais.

Le porte-avions USS Enterprise (CV-6) photographié pendant l’opération Galvanic, le 22 novembre 1943. (c) U.S. Navy

À cette date, aucun assaut amphibie n’a encore été lancé contre un atoll corallien. Pour l’U.S. Marine Corps, il s’agit de la première mise en application de sa nouvelle doctrine d’emploi des forces amphibies. Elle allait donc servir de test pour permettre d’améliorer les techniques de débarquement. En outre, en cas de succès, la piste de Betio devait permettre aux appareils américains d’atteindre les Marshall. Contrairement à l’archipel des Salomon, la conquête de la Micronésie va obliger l’U.S. Navy à adapter sa tactique. Les îles coralliennes sont planes et petite taille sont ceinturées de récifs de corail qui nécessitent l’emploi de véhicule à chenilles, les Landing Vehicles Tracked (LVT) ou amtracks. Les chefs d’états-majors combinés apportent la confirmation du lancement de l’opération lors de la conférence de Québec.

Le baptême du feu des LVTs
L’assaut amphibie d’un atoll nécessite l’emploi d’une tactique et d’un matériel adapté aux spécificités. Les barrières de corail sont des obstacles infranchissables aux péniches à fond plat si le niveau d’eau n’est pas assez important, les coraux risquant de déchirer les coques de ses frêles esquifs. L’U.S.M.C. va se tourner vers l’Alligator, un tracteur amphibie à chenille conçue en 1935 par David Roebling. Destiné à un usage civil, l’engin est adapté pour répondre aux besoins des Marines. Une commande de 200 véhicules est passée. Le Landing Vehicle Tracked ou LVT peut transporter 18 hommes et leur équipement. A l’origine destiné à transborder à terre le fret des navires, il va devenir par la force des choses, un véhicule d’assaut amphibie. Les premiers sont engagés à Tarawa. Les pertes seront lourdes à cause de la faiblesse de son blindage et de ses qualités de franchissement médiocres. Par la suite, des versions mieux blindées et d’appui feu vont voir le jour.

Le LVT est l’engin idéal pour franchir les barrières de corail et offrir une appui feu aux Marines lors des opérations amphibies dans le Pacifique. L’U.S. Army ne les utilisera pas. (c) WWII Museum

L’enfer de Tarawa
Les bombardements préliminaires débutent le 13 novembre. L’aviation embarquée américaine frappent en premier lieu les îles Marcus et Wake. Après un temps de récupération, les porte-avions déployés en quatre groupes bombardent Tarawa, Makin, Rabaul, Nauru et Jaluit dans l’archipel des Marshall. Si ces frappes causent peu de dommages aux défenses adverses, elles obligent les garnisons à consommer de précieuses munitions.
Le 20 novembre à l’aube, la garnison japonaise de Tarawa voit apparaitre les navires américains au large. Peu après 5 heures du matin, les premières salves d’obus déchirent les airs avant de s’abattre sur l’atoll de Betio. Les artilleurs de marine japonais répliquent avec les deux canons de 203 mm encore en état mais la disproportion des forces est trop importante. Sous la conduite de l’USS Maryland (BB-46), 3 cuirassés, 6 croiseurs et 9 destroyers composant la force d’appui écrasent la batterie côtière. En 2 heures et demie, 3 000 tonnes d’obus s’abattent sur l’île qui disparaît sous un énorme nuage de poussière et de fumées. Les tirs stoppent alors, laissant l’aviation embarquée parachever le travail.

Le cuirassé USS Colorado (BB-45), qui a quitté Pearl Harbor le 21 octobre, participe au bombardement de Tarawa. Le bâtiment, lancé en 1923, a pour armement principal huit canons de 406 mm. Ses sisterships sont l’USS Maryland (BB-46), l’USS Washington (BB-47) et l’USS West Virginia (BB-48). Si les frappes de l’U.S. Navy vont détruire les lignes de communications et les quatre canons de 8 pouces japonais, elles ne réussissent pas à venir à bout de toutes les fortifications. (c) NARA
À l’image de ces bombardiers Douglas SBD-5 photographiés sur le pont d’envol de l’USS Lexington (CV-16) après un raid contre les îles Gilbert, il est bon de rappeler le rôle primordial joué par l’aviation pendant les opérations amphibies pour couvrir le secteur d’assaut et neutraliser les positions adverses. (c) U.S. Navy
À l’image de ces bombardiers Douglas SBD-5 photographiés sur le pont d’envol de l’USS Lexington (CV-16) après un raid contre les îles Gilbert, il est bon de rappeler le rôle primordial joué par l’aviation pendant les opérations amphibies pour couvrir le secteur d’assaut et neutraliser les positions adverses.(c) U.S. Navy

Le transbordement terminé, les LVT et les barges, bourrés d’hommes et de matériel, se dirigent vers leurs objectifs précédés par des dragueurs de mines. Face à Makin, les Landing Craft Vehicle and Personnel (LCVP) et les Landing Craft Mechanized (LCM) viennent s’échouer sur les récifs. Il faut se rendre à l’évidence, les planificateurs se sont montrés beaucoup trop optimistes, faisant fi des mises en garde. En novembre, les 4 pieds d’eau nécessaires au franchissement de la barrière de corail ne sont pas là. Seuls les LVT parviennent à franchir l’obstacle grâce à leurs chenilles, mais leur nombre est réduit, à peine 125. Tandis que ces derniers pénètrent dans le lagon, la garnison nippone pour gagner ses positions de combat. Hill fait cesser le bombardement naval à 8h55, soit 5 minutes avant l’arrivée théorique de la première vague. Mais les LVT ont 20 minutes de retard. Comble de malchance, l’explosion accidentelle d’une tourelle de l’USS Maryland a détruit la salle radio. Hill, bien que conscient de la situation, ne peut ordonner à la force de soutien de reprendre le feu. Les destroyers USS Ringgold (DD-500) et USS Dashiel (DD-659) sont touchés par les batteries japonaises.

Cette photographie aérienne montre une plage de Betio. On remarquera l’étroitesse de la plage. (c) NARA

Les trois bataillons de marines prennent pied sur les plages Red 1,2 et 3. Ils ont été précédés par les hommes du Scout Sniper Platoon du 1st Lieutenant William D. Hawkins. Ces derniers ont débarqué sur la jetée en pierre donnant sur la barrière de récif et ils ont réduit les positions ennemies se trouvant dans leur secteur. Le laps de temps entre la fin des bombardements et l’arrivée des tracteurs amphibies dans le lagon permet aux combattants japonais de se ressaisir. Les soldats rejoignent leurs postes de combat et déclenchent un feu nourri sur les barges et les LVT qui ont les plus grandes difficultés à franchir la barrière de corail découverte par la marée.
Les marines s’extraient des véhicules. Ils doivent parcourir plus de 600 mètres à découvert avec de l’eau jusqu’à la taille. Les servants des mitrailleuses et des mortiers japonais concentrent leurs tirs sur les soldats sans défense qui tombent par dizaine. Les corps ensanglantés sont lentement ramenés par les vagues sur le sable corallifère des plages. Les pelotons entiers sont cloués sur place. Les armtracks à l’allure pataude constituent des cibles de choix pour les artilleurs qui font un carnage. Les véhicules rescapés franchissent tant bien que mal la palissade et s’enfoncent d’une centaine de mètres à l’intérieur, mais leur progression se trouve ralenti par les bunkers habilement camouflés au ras du sol et les tireurs isolés.

Des Marines se mettent à couvert derrière les parapets en rondins avant de repartir à l’assaut. Les valides aident du mieux qu’ils peuvent leurs camarades blessés. Ils sont entraînés à opérer rapidement et ce à n’importe quel prix. (c) USMC
Un Marine quitte un cours instant la protection offerte par les sacs de sable d’une position japonaise pour lancer une grenade quadrillée. Il est armé d’une carabine M1 tandis que son camarade dispose d’un fusil M1 Garand muni d’une baïonnette. Ils portent tous les deux des vestes camouflées réversible. Le motif est surnommé Duck Hunter. (c) U.S.M.C.

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Le correspondant de guerre du magazine Time, Robert Sherrod, est aux premières loges : « Pour la première fois, j’ai senti que quelque chose n’allait pas. Les premières vagues n’atteignaient pas la plage comme elles auraient dû. Il y avait très peu de barges sur la plage, et c’étaient tous des tracteurs amphibies que la première vague utilisait. Oh mon Dieu, j’ai peur, dit un petit marine, un téléphoniste, qui s’assit à côté de moi à l’avant de l’embarcation. J’ai serré les dents et j’ai essayé de faire un sourire forcé qui ne venait pas, tentant d’arrêter de trembler de partout. J’ai dit, dans l’effort d’être rassurant, j’ai peur aussi. Je n’ai jamais fait une déclaration plus sincère de toute ma vie. »

Un groupe de Marines investit le sommet d’un bunker ennemi. Pour venir à bout des occupants, il leur faut recourir à l’usage du lance-flamme et des explosifs. (c) NARA

Les combats sont si rapprochés, que ni les avions, ni la marine ne peuvent intervenir. Les servants des mitrailleuses de 50 ne savent plus où donner de la tête. Les tirs viennent de toutes les directions. Des voltigeurs japonais habilement dissimulés lancent des grenades à l’intérieur des LVT provoquant des carnages. Pour le Colonel David M. Shoup commandant les troupes d’assaut, le constat est amer lorsqu’il arrive sur les lieux en fin de matinée. Les unités sont disloquées, chacun essayant de s’abriter, notamment derrières les palissades. De nombreux officiers et sous-officiers ont été tués ajoutant à la confusion. Des centaines de corps sans vie sont ballottés par les eaux du lagon. L’issue des combats est très incertaine à ce moment de la bataille.

Pendant cinquante heures, je suis resté debout, presque tout le temps caché derrière un pillbox dans lequel se trouvait 26 Japs… bien vivants !
Colonel David M. Shoup

Makin
En août 1942, le 2nd Raiders Battalion du Colonel Evans F. Carlson est acheminé par les sous-marins Nautilus et Argonaut à proximité de l’atoll de Makin. Le Major James Roosevelt, qui commande l’unité, n’est autre qu’un des fils du président. Après deux jours de combats, les raiders parviennent à détruire la station radio. Lorsque l’ordre d’évacuation de Vandegrift leur est envoyé, l’unité déplore la perte de 21 hommes. Neuf blessés graves sont laissés sur place. Ils seront exécutés par les Japonais.

Le Sergeant Walter Carroll et le Private Dean Winters du 2nd Marine Raider Battalion se préparent à quitter le sous-marin USS Nautilus. Le Raid sur Makin est destiné à détourner l’attention des Japonais. (c) NARA

En marge du débarquement sur Tarawa, la 27th lD est chargée de s’emparer de l’atoll de Makin. L’île Makin, qui est l’île située la plus au nord, est défendue par 300 hommes commandés par le lieutenant-général Ishikawa. Il y également une centaine d’aviateurs et 400 ouvriers coréens. Des positions retranchées et des nids de mitrailleuses et 3 canons de 80 mm sont concentrés au centre de l’île à proximité de l’aérodrome.
Si les hommes de la 2nd Marine Division peuvent être considérés comme étant des combattants expérimentés, ceux de la 27th ID n’ont encore jamais connu le feu. L’unité est restée stationnée à Hawaï pendant plusieurs mois et elle n’a jamais été entrainée pour participer à une opération amphibie. Leur chef, le Major General Julian G. Smith est un battant très apprécié de ses hommes.

Une compagnie de chars M4A2 Sherman est affectée à la 2nd Marine Division pour l’opération Galvanic. Ils débarquent sur Betio avec la cinquième vague d’assaut. Cinq basculent dans des cratères d’obus dissimulés sous l’eau. À terre, les Marines, peu habitués à coopérer avec les chars, préfèrent attaquer des cibles d’opportunité sans soutien. Sept chars sont mis hors de combat par les canons de 75 mm japonais. Les engins remis en état se révèlent très utiles par la suite pour traiter les cibles en dur. (c) NARA

Le débarquement débute le 20 novembre à 8h30. Les 6 500 hommes du 165th Infantry Regiment – soit deux bataillons – débarquent sur l’extrémité orientale de Buritari sans rencontrer de forte résistance, mais à la progression à l’intérieur de l’île va être beaucoup plus longue que prévu. Par manque d’expérience, une grande partie du matériel a pris l’eau. Les radios et les lance-flammes sont hors d’usage ; chars ne peuvent avancer à cause des cratères d’obus. Les GI, pétrifiés, ont la hantise des snipers et perdent un temps précieux. Leur moral est au plus bas après la mort de leur chef. Des compagnies entières sont bloquées pendant des heures par quelques combattants japonais. Les actions individuelles de certains soldats permettent de débloquer progressivement la situation.

Des soldats du 165th Infantry Regiment se dirige vers Yellow Beach sur l’île de Butaritari. (c) NARA

Les marines emportent la décision sur Betio
Les renforts essuient aussi des pertes, mais celle-ci diminuent au fur et à mesure que les nids de résistances sont muselés. Heure après heure, la situation s’améliore. À la fin de la journée, une tête de pont de 500 m de large sur 300 m de profondeur a été établie. Sur les 5 000 combattants qui constituait la première vague, 1 500 hommes ont été tués ou blessés. Du côté japonais, la situation devient rapidement critique. Les bombardements préliminaires n’ont pas occasionné de pertes, ni de dégâts importants. Les abris ont tenu, la marine américaine ayant commis l’erreur de ne pas utiliser des obus de rupture. Néanmoins, les lignes de communication entre les différents points d’appui ont été coupées, empêchant Saichirō d’organiser une contre-attaque d’envergure, perdant ainsi toute chance de rejeter l’ennemi à la mer. Isolés, les défenseurs retranchés dans leurs bunkers continuent de se battre farouchement jusqu’à la mort.

Nos armes ont été détruites. À partir de maintenant tout le monde attend l’assaut final. Puisse le Japon exister 10 000 ans !
Contre-amiral Shibasaki

Le lendemain, à 6 heures du matin, les trois bataillons de marines repartent à l’assaut, tandis que les éléments de réserve sont acheminés sur Betio. Un feu meurtrier s’abat sur les hommes approchant à découvert. Seuls 450 hommes sur 800 rejoignent la rive. Finalement, ils parviennent à conquérir l’aérodrome et à couper Betio en deux. Toute la partie occidentale de l’île est sécurisée. Grâce à la marée montante, les barges réussissent à acheminer le matériel sur les plages. Le 10th Marines Artillery Regiment est à pied d’œuvre. Dissimulés derrière une levée de terre, les pièces de 75 mm Howitzer entrent en action. Les marines progressent appuyés par quelques chars M4 Sherman du 2nd Tank Battalion et deux destroyers tirant depuis le lagon. Lorsqu’un bunker est découvert, il faut recourir au lance-flamme, aux grenades ou aux pains d’explosifs, les soldats japonais préférant se faire tuer sur place plutôt que de se rendre.

L’arrivée de nouveaux renforts facilitent la progression. Les marines réussissent finalement à atteindre l’aérodrome et se rendent maître de la rive opposé. A la tombée de la nuit, le 1st battalion du 6th Marine Regiment atteint la rive ouest de l’île à bord de canots pneumatiques et fait sa jonction avec le 3rd Battalion du 2nd Marine Regiment. Les derniers défenseurs japonais sont été repoussés vers l’extrémité orientale de l’île. Au cours de la nuit, les 500 rescapés lancent une violente charge « banzaï » contre le 6th Marine Regiment. La « B » Company est littéralement décimée. Les Américains ploient mais ne rompent pas. Le lendemain, à l’aube, plus de 300 corps de soldats japonais gisent autour des positions américaines.

Les mitrailleuses, canons et autres mortiers vont détruire de nombreux LVT. Les pilotes et les mitrailleurs très exposés vont subir de lourdes pertes. Sur 125 véhicules, 35 seulement sont en état de marche à la fin du premier jour. (c) NARA

Le troisième jour, le Smith annonce à Turner le 23 novembre à 11h30 que l’île de Makin est prise. Sa division déplore la perte de 218 hommes, dont 64 morts. Du côté japonais, un seul fusilier marin et 105 ouvriers sont faits prisonniers. En parallèle, des détachements occupent l’îlot de Kotabu, sans rencontrer la moindre opposition. Sur Betio, les marines achèvent eux aussi le nettoyage de l’île, ratissant chaque recoin. Elle est déclarée sécurisée en début d’après-midi, même si quelques snipers vont continuer de sévir quelques jours durant. La dernière île de l’atoll, Lone Tree, n’est prise que le 28 septembre.

Une opération coûteuse

Le bilan est très lourd des deux côtés. Sur les 4 690 hommes que comptait la garnison, seuls 1 officier, 16 soldats japonais et 129 ouvriers sont faits prisonniers. Du côté américain, on déplore 1 026 tués et 2 557 blessés en trois jours, soit presque autant que pendant la campagne de Sicile. La Navy a quant elle perdu en marge de l’opération le porte-avions d’escorte USS Liscombe Bay (CVE-56) torpillé par le sous-marin I-175. 644 officiers et marins meurent dans le naufrage. Le porte-avions USS Independence (CVL-22) est tout prêt de connaitre le même sort. L’U.S.Navy avait réussi à démontrer qu’elle pouvait opérer contre les atolls bien défendus. Le matériel, les procédures de débarquement et d’assaut, les communications radio et la coopération interarmes indispensable dans le cadre d’une opération amphibie ont été rudement mises à l’épreuve. Cette expérience sera précieuse pour les futures opérations.

L’équipage d’un transport d’assaut des Coast Guards assiste à la cérémonie funèbre de deux marins du porte-avions USS Liscome Bay tués lors du torpillage de leur bâtiment. (c) USCG

… Jugée choquante par l’opinion publique américaine

Car les choses sérieuses n’ont pas encore commencé en Europe que l’Allemagne a transformé en forteresse. La victoire finale est encore loin. La bataille de Tarawa est largement relayée par la presse américaine. Pendant les deux premières années de la guerre environ, l’Office of War Information (OWI) et les médias ont veillé à ne pas montrer les images de militaires tués pour ne pas démoraliser la population. Si cette vision expurgée des combats a apaisé l’esprit des Américains, elle les a éloigné de la réalité. Aussi leur volonté et leur intérêt pour cette guerre lointaine a-t-elle fini par s’étioler au fil des mois, au grand dam des combattants qui risquaient leur vie et qui sentaient que le pays les abandonnait à leur triste sort à la lecture des journaux. Roosevelt ayant pris conscience du problème lève l’interdiction de publier des photographies de soldats américains morts sur le champ de bataille pour injecter la dose de réalité nécessaire pour remobiliser la population.

Le littoral de Betio offre un spectacle de désolation quelques heures après la bataille. Les corps d’une quinzaine de Marines rejetés par la marée gisent sur une des plages de débarquement de l’île de Betio. On estime que 70% des hommes de la première vague ont été mis hors de combat. Une fois rendues publiques, ces images terribles vont durablement marquées l’opinion publique américaine. (c) NARA

L’assaut amphibie sur Tarawa doit servir de galop d’essai à la nouvelle politique de transparence des médias américains. De nombreux correspondants et photographes sont accrédités pour couvrir l’opération Galvanic avec l’entière collaboration des autorités militaires. United Newsreel y consacre un sujet de cinq minutes et trente secondes. Les images montrent l’ampleur des destructions et les cadavres des Japonais tués sur leurs emplacements de combat. La presse écrite quant à elle publie les récits et les photos des correspondants qui ont participé aux 36 premières heures de combat sur Betio aux côtés des marines. Le témoignage du Technical Sergeant James C. Lucas fait les gros titres du journal New York Times : « La sinistre défense de Tarawa, une surprise révélée par un témoin oculaire de la bataille. Les marines sont partis en riant, et ont trouvé une mort rapide au lieu d’une conquête facile ». Le Major General Holland Smith compare pour sa part l’assaut sur Tarawa à la charge de Pickett à Gettysburg. Enfin le Major General Merritt A. Edson, le chef d’état-major de la 2nd Marine Division, avance que l’U.S.M.C. a payé le prix le plus élevé en vies humaines par mètre carré de toute son histoire.

L’affiche We Have Just Begun to Fight (Nous avons juste commencé à nous battre) diffusée en 1943 annonce clairement que la route vers la victoire est encore longue. (c) DR

En attendant les chiffres officiels, Frank Knox organise une conférence de presse pour préparer les médias. Lorsque le bilan des pertes tombe le 1er décembre, les Américains sont horrifiés. Ils ne comprennent pas pourquoi tant des leurs sont tombés pour conquérir une si petite île. Ni la qualité des fortifications édifiées par les troupes japonaises, ni leur jusqu’au-boutisme ou l’ampleur de leurs propres pertes, ni même l’intérêt stratégique de Betio sur la route menant au Japon n’apaisent les reproches. Les responsables militaires sont pris à partie par de nombreux parents endeuillés qui cherchent des responsables. Le premier d’entre eux, Nimitz, reçoit même la lettre d’une mère l’accusant d’avoir « tué son fils ». Le Congrès se propose d’ouvrir une enquête, jusqu’à ce que les paroles du Brigadier General Alexander Vandegrift, le héros de Guadalcanal, viennent apaiser les représentants de la chambre basse du Congrès et les sénateurs. Pour lui, Tarawa a été un assaut du début à la fin, ce qui justifie les pertes à ses yeux.

Les Américains découvrent que la vraie guerre est sale, sanglante et rebutante. Certains sont prêts à utiliser les moyens les plus extrêmes pour éviter de verser le sang des marines, notamment les gaz de combat pour annihiler les garnisons japonaises. Les journaux s’en font l’écho, allant jusqu’à valider le principe. Tarawa s’annonce donc comme le premier acte d’une guerre qui risque fort d’être terriblement meurtrière. D’autant que les choses sérieuses n’ont pas encore véritablement commencé en Europe, que l’Allemagne a transformée en forteresse. La victoire finale est encore loin. On assiste à une fracture entre les combattants qui risquent leur vie chaque jour loin de chez eux et ceux de l’arrière censés les soutenir.

Si l’histoire des Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, lisez mon dernier livre L’Amérique en Guerre, 1933-1946 (Perrin, février 2024).

Dans cette remarquable étude, l’auteur examine l’éveil d’une conscience collective face aux extrémismes, la vigueur de la mobilisation et la mise sur pied de la machine de guerre qui vaincra les forces de l’Axe. Magazine Historia

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